Pendant ces huit derniers mois, en travaillant sur la première conférence du Bitcoin en Afrique, j’ai eu à échanger avec plus d’une centaine de personnes de plus d’une quarantaine de pays de par le monde. Ces échanges m’ont fait réaliser que l’indépendance financière signifie différentes choses pour différentes personnes.
Avec le nouvelle génération de “vendeurs de fortune” qui ont tous le même business model sur les réseaux sociaux: promettre aux uns qu’ils deviendront riches en suivant leurs cours quand eux mêmes leur richesse ne dépend que de la commercialisation de ces cours, l’on entend par indépendance financière, la possibilité de s’offrir le luxe, de gagner des dizaines de milliers de dollars le mois et de prendre ses vaccances chaque deux mois dans un hôtel 5 étoiles.
Ce que j’ai appris ces huit derniers mois, c’est à quel point des centaines de millions de personnes de par le monde sont exclues totalement du système financier mondial ou pénalisées par le système pour différentes raisons. Dans certains pays comme la Palestine, la Somalie, le Somaliland, le Yémen, la diaspora ne peut même pas envoyer directement de l’argent à leurs parents ou vice versa comme les autres en ont l’habitude. Des millions de personnes sont ainsi exclues car leur pays a été blacklisté par les puissants de ce monde sur la base qu’ils abriteraient des terroristes.
En Afghanistan, des millions de femmes ne peuvent pas travailler à cause du fondamentalisme religieux ou pour celles qui sont autorisées à le faire, c’est leur mari ou père qui récolte le salaire. Au Venezuela, l’inflation est de telle qu’il faut remplir tout un sac en billets pour acheter une miche de pain. Quand les gens sont payés, ils se réveillent le lendemain pour apprendre que leur monnaie a encore été dévaluée et vaut dix fois moins que la veille.
En Érythrée où l’état s’est isolé du reste du monde depuis sa guerre sanglante avec l’Ethiopie qui a conduit à son indépendance en 1994, le président Tafewerki a suspendu la constitution depuis plus de 20 ans faisant de ce pays le seul au monde à ne pas avoir de parlement, à n’avoir jamais tenu aucune élection et à imposer le service militaire dès l’adolescence. Là-bas, les populations sont interdites de sortir et pourtant des dizaines de milliers tentent chaque année de fuir clandestinement et nombreux finissent par être trafiqués au Moyen Orient pour y travailler comme esclaves. Impossible d’envoyer directement de l’argent en Érythrée ou de le sortir.
Ce qui m’a pourtant fasciné lors de ces échanges, est que les êtres humains sont si résilients et si créatifs qu’ils trouvent toujours un moyen de briser les interdits qu’ils proviennent de la religion, de l’état ou des institutions étrangères. J’ai rencontré une femme ingénieure informatique et robotique qui forme des jeunes femmes afghanes, leur donne du travail en ligne et les paye clandestinement en bitcoin. Nombreuses de ces femmes ont finit ainsi par épargner pour éventuellement fuir ces marriages souvent abusifs.
J’ai échangé avec une femme qui arrive à racheter la liberté de ses compatriotes nord coréennes qui sont trafiquées pour être vendues comme épouses en Chine avec du Bitcoin car impossible de le faire par la banque.
J’ai échangé avec des militants palestiniens qu’Israel a réussit à empêcher d’envoyer de l’argent de leur diaspora pour soutenir leur famille car étant convaincus que ça financerait leur résistance, se servir de Bitcoin comme alternative etc.
Mais ce que j’ai retenue comme la plus grande leçon est que nous naissons tous avec des privilèges qui nous empêchent de réaliser des fois à quel point sous d’autres cieux la vie est extrêmement difficile et injuste. Dans ces deux images illustratives, vous avez d’un côté le marché d’échange au Somaliland ( Somali anglophone nation qui réclame son indépendance de la Somalie depuis des décennies mais n’est toujours pas reconnu comme un état indépendant). Ces énormes liasses de billets ne valent même pas $100 américains. Dans la deuxième image vous avez ce qu’il vous faut en Bolivar pour acheter du fromage au Venezuela.
Aujourd’hui les États-Unis connus pour leur individualisme légendaire augmentent continuellement les taux d’intérêts de leurs obligations, poussant ainsi les investisseurs à liquider leurs avoir dans d’autres pays pour acheter les obligations américaines. Ceci a conduit à une montée fulgurante du dollar qui pour la première fois en 20 ans dépasse l’euro.
Mais la conséquences pour les pays pauvres est totalement désastreuse. Obligés d’emprunter en dollars, ils doivent maintenant rassembler beaucoup plus de leurs monnaies nationales qui ont dépréciées également face au dollar pour rembourser leurs dettes.
Contrairement à la banque centrale anglaise qui a racheté à hauteurs de plusieurs milliards des obligations de l’état pour freiner la dévaluation du British Pound, il y a des pays notamment ceux du CFA qui n’ont même pas leurs banques centrales indépendantes. Du coup, le dollar continue de monter, les européens eux se débrouillent avec leurs réserves pour ne pas sombrer totalement, mais nous les africains ne pouvons que nous contenter de regarder et d’attendre que Dieu agisse.
Depuis que j’ai commencé à parler du Bitcoin, j’ai reçu de nombreux messages de personnes qui me contactent pour me demander comment ça marche. J’apprécie cet intérêt que cela suscite et je suis entrain de créer une structure pour faciliter la formation sur le Bitcoin à tous en Afrique. Toutefois, je tiens à vous dire que si votre intérêt est animé par le gain facile et rapide que vous promettent les petits cyber-escrocs, vous frappez à la mauvaise porte. Je n’ai absolument aucune astuce et même pas l’intention de vous dire d’acheter telle ou telle autre cryptomonnaie, de dormir et de vous réveiller milliardaire. J’ignore comment les gens arrivent toujours à croire en ces fables en plein 21ème siècle. Je n’ai pas de fortune en cryptomonnaie pour pouvoir vous apprendre comment y faire fortune si c’est ce que vous recherchez. Je n’ai d’ailleurs pas de fortune du tout, sûrement parce que je ne me suis pas fixée comme objectif d’en avoir et ai investi mon temps à faire des choses qui sont plus cruciales à mes yeux.
Je suis une salariée: j’ai deux boulots en plus de consulter pour différentes institutions et je travaille en moyenne 14 heures par jour voir plus y compris les weekend très souvent: ceux qui me connaissent savent que je suis une workaholic. Alors encore une fois: je n’ai pas la formule magique pour devenir riche avec les cryptomonnaies même si je sais que ceux qui achètent Bitcoin et le conservent vont à l’avenir ( pas dans le court terme) en tirer profits car son adoption augmente et cela fera naturellement grimper sa valeur: c’est de l’arithmétique pure et simple.
Pour moi:
Bitcoin est une philosophie: celle de construire une société au sein de laquelle les peuples sont libérés des systèmes financiers établis depuis des siècles par les plus puissants de ce monde qui leur permettent de manipuler la valeur des monnaies en leur faveur et de s’enrichir interminablement quand tout le monde s‘appauvrit. Vous imaginez emprunter une vache à votre voisin que vous vous entendez que vous lui rembourserez deux vaches quand elle mettra bas. Et au moment de rembourser, votre voisin vous informe que la vache a perdu 50% de sa valeur et vous lui devez donc 4 au lieu de deux. C’est ainsi que nos états sont coincés dans ces cycles interminables de dettes et ce sont les pauvres populations qui perdent et se retrouvent totalement démunies. Les gens travaillent dur pour être payés en monnaies de singe qui déprécient chaque jour réduisant ainsi leur pouvoir d’achat. Alors Bitcoin est avant tout une philosophie de libération et ceux qui y croient créent une économie parallèle car ses règles sont immuables et ne peuvent être dictées par aucun individu ou aucune entité.
Ensuite, Bitcoin est un outil pour contrer les embargos financiers imposés à tort aux peuples par les régimes autocratiques ou par les institutions impérialistes et militaristes pour empêcher à ceux-ci de se libérer de leur joug.
Et enfin, Bitcoin c’est une arme de résistance car comme le dit l’adage, "l’argent est le nerf de la guerre" et c’est ce pourquoi j’ai choisi de l’adopter.
La mission que je me donne est de la rendre accessible aux africains et de permettre aux ingénieurs informatiques africains de développer des solutions qui pourraient la rendre encore plus accessible et sécurisante à tous, car nous ne pouvons pas éternellement demeurrer de simples consomateurs.
Farida Bemba Nabourema
Citoyenne Africaine Désabusé,