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Mon père est un militant et l’a été depuis les bancs. Pendant des années, nous, ses enfants, avons vu ce que son militantisme jusqu’au-boutisme lui a coûté. À plusieurs reprises, il a été arrêté sous Eyadema, jeté en prison, torturé et a gardé des séquelles graves.

Du fil électrique enroulé à son testicule pour l’électrocuter aux coups de fouet qui, à ce jour, lui ont laissé des cicatrices dans le dos comme Kinta Kounté, aux fractures de plusieurs de ses côtes qui, lui coûtent encore, aux crachats des militaires togolais sur son visage, il a subi plusieurs des pires formes de torture dont j’ai connu les horribles détails à un très jeune âge où je n’avais même pas encore 15 ans. Mais il était l’un des plus chanceux de son groupe de militants car lui a survécu aux multiples tortures au cours de multiples arrestations et détentions arbitraires sur au moins trois décénies et certains de ses camarades malheureusement ont succombé. Il a fait la prison à maintes reprises dans les années 70,80,90 et au début des années 2000: ce ne sont pas les occasions du désespoir ou de l’abandon qui lui ont manqué au fil de ces décénies.

Nous avons grandi dans une atmosphère de terreur où les militaires venaient sans crier gare perquisitionner la maison, créant un malaise et un effroi insoutenable. Enfants de mon père, je suis la plus jeune et la seule qui ai décidé de m’investir dans ce combat. Venant d’une région où presque chacun a des parents dans le régime ou dans l’armée, ceux qui osent défier la dictature deviennent des ennemis à persécuter et sont sujets à toutes formes d’humiliations et d’attaques et ils finissent dans l’isolement familial total.

Certaines personnes, dans leur éternel envie de jeter le discrédit sur ceux qui résistent à l’oppression, m’ont pendant longtemps accusé de chercher la vengeance. Mais croyez-moi : la vengeance est très facile à obtenir et je rejette cette facilité. Ceux qui ont torturé mon père étaient pour la plupart en vie, affaiblis par l’âge et la misère de la retraite quand j’ai commencé ce combat. Si je voulais me venger, je n’aurais point hésité et croyez-moi, je n’en manque pas le courage.

Mais voyez-vous? Quand on grandit aux côtés d’une personne qui vous a transmis depuis la tendre enfance des valeurs et que cette personne que vous savez être la personne la plus généreuse, la plus honnête et la plus intègre que vous connaissez, et que vous voyez cette personne acculée dans tous les sens, humiliée, bastonnée et déshumanisée parce qu’elle a choisi la justice, vous n’êtes pas guidé par la haine mais par le respect des sacrifices et la résilience de cette personne.

J’ai commencé mon militantisme en solidarité avec mon père et nous n’avons pas toujours été d’accord sur l’approche et ceci même jusqu’à ce jour. Nous le sommes d’ailleurs très rarement, raison pour laquelle je ne milite pas dans un parti comme lui le fait aujourd’hui mais nos aspirations, nos convictions, nos principes et nos espoirs sont en parfaite adéquation.

Il m’est arrivé encore et encore, au cours des quinze dernières années, pas d’avoir perdu espoir mais plutôt d’avoir été dégoûté par la duplicité de l’humain; mais il n’a jamais jugé ma décision de me retrancher, ni rappelé de le rejoindre car il ne l’a jamais demandé à aucun de ses enfants. Il m’a doté par nos échanges, par ses encouragements me poussant à lire des dizaines et des dizaines d’ouvrages sur les résistances des peuples de différentes parties du monde qu’il m’achetait, d’une capacité à discerner, à réfléchir par moi-même et à articuler mes pensées clairement.

Avec mon père, je n’ai pas une relation de parent et d’enfant, mais une camaraderie de militants. Et même si je pense fortement que sa génération a déjà fait sa part et mérite le repos, il reste convaincu que seule la mort le lui accordera. Cette décision je la respecte aussi, mais ce que je respecte encore plus, c’est sa détermination inébranlable.

Il existe au Togo plusieurs familles comme la nôtre où des grands-parents, aux parents, aux enfants et aux petits-enfants, le flambeau a été porté de génération en génération. Mon père doit sa témérité à son père avant lui, qui était un militant indépendantiste et qui avait aussi subi la torture et la persécution du régime colonial des décénies durant. Ce n’est pas une fierté de le dire, car chaque militant désire au plus profond de lui que son enfant n’ait pas à mener le même combat que lui, mais dans mon cas, c’est une source d’inspiration car si d’autres en avaient, ils ne seraient pas aussi laxistes face à l’injustice.

Très souvent je vois d’autres peuples tirer sur les Togolais, les traitant de lâches car étant dominés par la plus vieille dictature du continent africain. Mais dans l’attribution des laquais au service de la métropole coloniale, tout en respectant leurs combats et leur courage, ils ont eu des dictateurs bien moins cruelles que celle du Togo, et ils n’ont pas idée des sacrifices et de la bravoure de nombreux Togolais sur plusieurs générations.

Un jour nous vaincrons et l’histoire retiendra que nous avons fait tomber la dictature la plus enracinée et la plus ancienne de l’Afrique. Et ce combat sera une référence pour d’autres générations d’africains qui à leur tour, auront à affronter les forces de la domination.

Farida Bemba Nabourema,
Citoyenne Africaine Désabusée!

Tag(s) : #FaureMustGo, #Togo
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